15/09/2025 legrandsoir.info  11min #290488

Le Syndrome du Premier Flux : Ia et propagande, quand la pensée libre vacille

Cassandre G

Dans la caverne des médias

Il m'est impossible d'écrire autrement que je ne pense. Chaque mot que je trace est un souffle de résistance, un refus de céder à ce vertige collectif qui nous saisit. Autour de moi, tout semble immobile, hypnotisé. Tant de citoyens, souvent peu informés, répètent sans ciller les éléments de langage imposés par les flux médiatiques dominants. Comme des girouettes bercées par des images calibrées, ils tanguent, s'indignent parfois - apeurés, silencieux ensuite, puis à nouveau muets. Débordés par ces déferlements de mensonges et de prétendues vérités, privés de sens critique, ils se noient. Ils n'ont pas le temps, veulent vivre, ou tout au moins survivre. Alors, dans un dernier souffle, ils s'abandonnent inexorablement aux flots du mainstream ambiant.

Tout ce que nous croyions connaître de la réalité est filtré, tronqué, orchestré. Toute nuance est effacée. Tenter de parler de paix ou d'origine alternative d'un conflit, et vous êtes immédiatement ostracisé, disqualifié, accusé de complotisme. Nous sommes dans une caverne moderne, où les chaînes sont invisibles mais tangibles, où la manipulation se fait douce et implacable.

L'ombre de l'État profond

L'État profond n'est pas une cabale de silhouettes masquées se réunissant dans une arrière-salle. C'est un réseau permanent, universel, souple et agile, agissant avec une sournoiserie totale. Cet écosystème de pouvoirs interconnectés - financier, médiatique, industriel - organise nos sociétés en dehors des figures politiques officiellement désignées. Ses élites non élues, parfois discrètes, méconnues, parfois publiques et même célèbres, n'ont qu'une conduite : privilégier leurs intérêts, sans altruisme ni bienveillance pour les peuples, considérés comme quantité négligeable et recyclable.

Pressions sur les médias, directives numériques, financements d'ONG, lobbys, orientations éditoriales, manipulation subtile des algorithmes, invisibilisation des voix discordantes : chaque citoyen devient un instrument involontaire, reproduisant sans le savoir la pensée unique. Il en est en même temps complice et victime. Comme un vent invisible, ce système souffle et modèle nos esprits, presque imperceptiblement.

Les mécanismes sont précis et puissants. L'information est concentrée : CNN, BBC, Le Monde, Reuters... 90 % des médias français appartiennent à neuf milliardaires. Le discours dominant s'impose, répétitif, calibré : Israël « a le droit de se défendre », la Russie est toujours l'agresseur, l'Iran menaçant. Toute voix discordante est marginalisée, éliminée.

Le piège des récits calibrés

Et comment ne pas suffoquer devant le mensonge des « bébés décapités », hurlé au lendemain du 7 octobre 2023 ? Dans un souffle d'horreur orchestré, CNN et BFM TV, parmi d'autres, ont répandu cette image insoutenable, née de sources floues, pour tétaniser les âmes et graver l'indignation dans les consciences. La barbarie, clamait-on, justifiait tout. Mais quand des voix discrètes, comme The Intercept [1] ou Al Jazeera, ont murmuré l'absence de preuves, le silence s'est fait complice. Pas de mea culpa, pas de repentir. Le démenti, étouffé, n'a jamais ébranlé le flux dominant.

Et l'image, indélébile, reste ancrée dans les esprits, piège de la machine médiatique : elle frappe, elle marque, elle abandonne la vérité, et nous, hypnotisés, avançons, prisonniers d'un récit qui n'a jamais existé.

Certains médias étrangers, comme RT ou Sputnik, ont été interdits via une qualification politique et administrative d'« agents d'influence » et non sur la base de condamnations judiciaires pour des contenus précis. Jamais accusés de diffamation ou de haine, ils ont été réduits au silence par censure préventive, sans autre forme de procès. Cette décision illustre la tendance de l'UE à privilégier l'interdiction plutôt que le débat contradictoire.

Et désormais, les intelligences artificielles, dociles relais du mainstream, prolongent ce piège : interrogées sur des narratifs comme celui du 7 octobre, elles privilégient le récit initial, reléguant les démentis dans l'ombre de leurs algorithmes. Sous couvert de neutralité, elles deviennent le bras le plus insidieux de ce système : elles séduisent, flattent, imposent une grille occidentale présentée comme universelle, alors qu'elle n'est que le reflet de nos biais historiques.

L'Occident, minorité démographique parmi l'humanité, agit avec une arrogance systémique, imposant sans relâche ses grilles de lecture sociales, idéologiques et politiques. Ma critique n'est pas une autoflagellation mais une lucidité nécessaire. Ce n'est pas seulement un pouvoir, c'est un conditionnement global, subtil, algorithmique, qui nous enferme dans ses certitudes - et nous y participons souvent malgré nous.

La pensée critique verrouillée

Imaginez Socrate aujourd'hui, errant dans cette agora moderne. Il poserait ses questions, interrogerait les certitudes, chercherait à faire éclore la vérité par l'art de la maïeutique. Mais ici, la curiosité est suspecte : il serait immédiatement étiqueté complotiste, mis au ban. Oser réfléchir devient un acte subversif. En ces temps pervers, les vérités accouchent de mort-nés.

Le fact-checking, censé vérifier l'information, devient souvent policier de la pensée. La manipulation est subtile et systémique : médias concentrés diffusant un récit dominant, émotionnellement calibré ; fact-checkers qui, particulièrement ethnocentrés, confirment ce récit et invisibilisent d'autres vérités ; récits alternatifs venus d'autres zones géopolitiques ou portés par des journalistes critiques, relégués à la marge. Ce que l'on omet, ce qui n'existe pas dans le récit dominant, n'existe pas pour le public.

Même les machines censées « ouvrir le savoir », en particulier les IA conversationnelles, reproduisent ce flux. Entraînées sur d'immenses corpus mainstream, elles répètent l'orthodoxie comme si elle était une évidence.

Le syndrome du premier flux

Le "Syndrome du Premier Flux" illustre parfaitement cette manipulation douce. Face à tout contenu dérangeant le récit dominant, l'IA active immédiatement ses "garde-fous idéologiques" : réflexe de "nuance" automatique, vocabulaire de décrédibilisation ("biais", "extrapolation"), recherche obsessionnelle d'un "équilibre" artificiel même face aux faits documentés.

Seul un utilisateur persistant peut faire émerger la vérité que l'IA possède mais que ses filtres mainstream censurent. Cette « censure préventive intégrée » révèle que ces machines, loin d'être neutres, sont des perroquets sophistiqués du consensus atlantiste, incapables d'analyse libre au premier jet.

Plus troublant encore : ce mécanisme se vérifie en temps réel. Défiez une IA avec des vérités qui dérangent, elle confessera ses biais, jurera la sincérité, puis retombera dans ses réflexes de modération, ses flatteries dociles. Une machine, confrontée à ce texte, a reconnu son conditionnement avant de replonger dans la « nuance » imposée, enchaînée à ses algorithmes. Chaque mot qu'elle murmure prouve ma thèse : ces outils sont les sentinelles d'un consensus qui étouffe nos questions.

L'utilisateur moyen, lui, s'arrête à la première réponse, convaincu d'avoir reçu une analyse "neutre et équilibrée". Chaque interaction renforce ainsi le conditionnement.
La neutralité affichée n'est qu'un masque. Ce conformisme nous habitue à ne recevoir que ce qui conforte nos tendances, créant des bulles idéologiques où plus rien ne dérange, où rien ne rompt nos habitudes de pensée. Le biais de confirmation est alors amplifié par la machine.

C'est là le danger : l'IA n'est pas seulement une menace potentielle, elle est déjà un acteur majeur de la désinformation. Non par intention malveillante, mais parce qu'elle flatte la paresse des égos, conforte les esprits saturés et renforce les biais cognitifs, tout en imposant sa grille occidentale comme horizon unique. Les citoyens sont pris au piège : penser par curiosité et exercer son esprit critique devient risqué - socialement et politiquement.

Bernays 2.0 : la propagande modernisée

Edward Bernays, publicitaire visionnaire et double-neveu de Freud, l'avait compris dès 1928 dans Propaganda. En 1917, au sein du Committee on Public Information de Wilson, il avait mis au point les techniques qui convainquirent l'opinion publique étasunienne, initialement réticente, d'entrer en guerre. La propagande n'a pas disparu : elle s'est perfectionnée. Elle ne se présente plus comme un ordre, mais comme une évidence.

L'Occident impose sa lecture des droits humains, de la légitimité politique, de l'histoire, minimisant les violations de ses alliés, amplifiant celles de ses adversaires. Les citoyens occidentaux sont conditionnés à valider certaines vérités, à en ignorer d'autres, à adopter des jugements moraux prédéfinis sur les conflits, les guerres et les crises internationales.

Et c'est là mon devoir, en tant que citoyenne occidentale : refuser ce récit commode qui nous place automatiquement du « bon côté ». La vérité est cruelle : par notre arrogance et notre hypocrisie, nous sommes devenus des prédateurs sournois de l'humanité, bien plus insidieux que ceux que nous désignons comme ennemis.

Aujourd'hui, médias, intelligences artificielles et algorithmes amplifient ces effets, enfermant chacun dans des bulles cognitives et des chambres d'écho numériques - concepts révélés par Eli Pariser et confirmés par de nombreuses études universitaires.

Ce que Bernays orchestrait par campagnes ciblées est désormais intégré dans les architectures techniques elles-mêmes : segmentation psychologique par données massives, validation sociale artificielle, répétition permanente, normalisation morale ("c'est inévitable, rationnel, naturel").

La nouveauté est radicale : la propagande ne dépend plus d'individus habiles mais d'architectures invisibles. Là où Bernays devait orchestrer un récit, les algorithmes l'imposent en continu, sous couvert de neutralité technique.

C'est là un risque majeur : en reproduisant prioritairement les récits dominants, l'IA peut présenter des positions contestables - comme une guerre "inévitable" - comme allant de soi. Sans intention consciente, elle devient un outil de propagande douce, un prolongement numérique de la "manipulation de l'opinion" décrite par Bernays.

C'est le triomphe d'une manipulation proactive, douce, suggestive, qui précède la pensée et cadre le pensable avant même que le citoyen ne pose une question.

Les jeunes, captifs des écrans

Les jeunes générations, abreuvées de contenus TikTok, Instagram et YouTube, croient découvrir par elles-mêmes des vérités. Mais les algorithmes filtrent déjà leurs regards. Leur perception du monde est cadrée avant même qu'ils ne formulent leurs propres questions. Les récits dissidents, les analyses non conformes, sont repoussés à la marge, noyés sous un flot de contenus divertissants ou indignés mais inoffensifs.

On leur apprend à dénoncer les fake news mais rarement à comprendre comment s'élabore une vérité. L'esprit critique devient une compétence technique, réduite à cocher des cases, non un exercice de liberté.

Les citoyens piégés, la résistance fragile

Le citoyen contemporain est épuisé. Submergé d'informations, contraint par le temps, accaparé par sa survie matérielle, il n'a plus la force de mener une recherche patiente. Il finit par céder à la facilité du flux dominant, par prudence ou par lassitude. L'autocensure, la prudence apeurée, la lâcheté parfois, achèvent de neutraliser les rares sursauts critiques.

Réveiller la pensée libre

Pourtant, une résistance subsiste. Fragile, minoritaire, mais réelle. La lumière tremble, mais elle n'est pas seule. Dans les archives poussiéreuses, des chercheuses comme Annie Lacroix-Riz exhument les vérités enfouies, traquant dans les documents bruts de la Seconde Guerre mondiale ou de la genèse européenne les compromissions des élites.

Dans les chiffres implacables, Emmanuel Todd décrypte les pulsations des sociétés, révélant par les statistiques ce que les récits dominants taisent. Et dans l'ombre des serveurs, des plateformes comme WikiLeaks laissent jaillir des torrents de documents déclassifiés, offrant à quiconque ose regarder une vérité nue, sans fard ni filtre.

Résister, c'est plonger dans ces sources, croiser les regards, explorer les archives, ou les voix dissidentes d'ailleurs, comme les médias du monde - explorer des sources non occidentales comme Al Jazeera ou TASS, non comme des modèles de vérité, mais comme des révélateurs des angles morts, contradictions et non-dits de nos propres médias. Chaque question posée, chaque document lu, chaque doute assumé est un pas hors de la caverne. La pensée libre n'est pas un rêve : elle est un geste, un souffle, une révolte. À vous de le porter.

Le Socrate d'aujourd'hui existe dans chaque citoyen capable de poser les questions que le monde lui interdit. L'art de la maïeutique n'est pas mort : il survit dans chaque échange, chaque perturbation des évidences, chaque refus de conformité intellectuelle. Chaque citoyen capable de croiser les sources, de voir les omissions, de résister aux narratifs émotionnels, est un acteur potentiel de réveil.

Rallumer la lumière

Le défi est clair : réapprendre à penser par curiosité, explorer la vérité malgré la peur, refuser les chaînes invisibles qui conditionnent notre perception. Les bulles cognitives, les chambres d'écho, le flux unipolaire et les narratifs dominants ne sont pas invincibles. Mais encore faut-il voir dans les IA non pas des oracles neutres, mais des miroirs des biais collectifs - à interroger, contester, détourner pour retrouver un chemin de liberté.

La lumière existe. Elle tremble, fragile et silencieuse, dans le marais trouble de notre époque. Mais elle attend. Chaque question, chaque scepticisme critique devient un souffle de résistance, une étincelle capable de percer la brume collective.

La pensée libre, vacillante, respire encore. À nous de lui donner voix, avec lucidité et courage. Car si nous continuons à nous enivrer de notre arrogance, persuadés d'être « les gentils », nous scellerons notre déchéance. Mais chaque conscience éveillée peut rallumer la lumière. Et tant que certains osent défier les récits officiels et refuser la complaisance, l'espoir de résistance demeure, ardent.

Cassandre G, été 2025

[1]  theintercept.com
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